Par un arrêt du 9 mars 2022 (pourvoi n°19-25.795), la chambre commerciale de la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir énoncé que les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée (SAS) peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de révocation ou de ses modalités. La chambre commerciale de la Cour de cassation approuve ensuite la Cour d’appel d’avoir décidé que la révocation du dirigeant pouvait intervenir sans juste motif dès lors que les statuts ne prévoyaient pas une telle exigence.
En l’espèce, le directeur général de deux SAS et gérant d’une SARL appartenant au même groupe de sociétés avait été révoqué de l’ensemble de ses fonctions. Il contestait ces révocations en se fondant sur l’absence de juste motif et sur leur caractère brutal et vexatoire.
L’article 16 des statuts de la première SAS stipulait que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’un juste motif soit nécessaire, par décision du président. La révocation des fonctions de directeur n’ouvre droit à aucune indemnité ».
L’article 18 des statuts de la seconde SAS prévoyait quant à lui que « les dirigeants sont révocables à tout moment par l’associé unique ou, en cas de pluralité d’associés, par l’assemblée générale ordinaire des associés sur proposition du président ».
Ainsi, alors que les statuts de la première SAS prévoyaient expressément qu’un juste motif n’était pas requis, les statuts de la seconde SAS restaient silencieux sur ce point. Le dirigeant éconduit en déduisait qu’en l’absence de mention statutaire dispensant la seconde SAS de justifier d’un motif pour procéder à sa révocation, celle-ci ne pouvait intervenir que pour un juste motif.
La Cour d’appel le déboute pourtant de ses demandes, considérant que pour les deux SAS, la révocation du dirigeant pouvait intervenir à tout moment, sans préavis et sans qu’il ait été nécessaire de justifier de justes motifs.
Ce raisonnement est approuvé par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 mars 2022.
Celle-ci considère en effet qu’ « après avoir exactement énoncé que les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités, l’arrêt constate que l’article 18 des statuts de la société Hubbard stipule que les autres dirigeants que le président « sont révocables à tout moment par l’associé unique ou, en cas de pluralité d’associés, par l’assemblée générale ordinaire des associés sur proposition du président » et retient que, sauf à ajouter à l’article 18 précité, celui-ci ne conditionne nullement la révocation du dirigeant à l’existence de justes motifs.
En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, c’est à bon droit que l’arrêt décide que la révocation de M. [N] en tant que directeur général de la société Hubbard pouvait intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif ».
Ce faisant, la Cour de cassation affirme tout d’abord la liberté d’organisation statutaire des causes et modalités de révocation dans la SAS. En effet, la loi est silencieuse sur ce point puisque l’article L227-5 du Code de commerce se contente d’énoncer que « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».
Les statuts peuvent ainsi organiser librement les modalités de révocation de leurs dirigeants, par exemple en précisant l’organe compétent et la procédure applicable.
Les statuts d’une SAS peuvent également prévoir que leur dirigeants seront révocables sans motif (comme c’était le cas en l’espèce pour la première SAS), [1] pour motif grave [2] ou encore pour justes motifs. [3] Soulignons que le dirigeant reste révocable même si un juste motif est exigé, mais que s’il est révoqué en l’absence d’un tel motif, il pourra solliciter des dommages-intérêts.
Dans le silence des statuts, comme c’était le cas en l’espèce pour la seconde SAS, la Cour de cassation considère dans l’arrêt commenté qu’en l’absence de clause statutaire exigeant un juste motif de révocation, le principe est la révocation ad nutum du dirigeant de la SAS, au même titre que les membres du conseil d’administration, [4] les membres du conseil de surveillance, [5] le président du conseil d’administration [6] ou le président du directoire [7] d’une société anonyme.
En d’autres termes, un juste motif ne devra être caractérisé que si les statuts de la SAS le prévoit expressément.
En pratique, si le silence de la loi sur les causes et modalités de révocation des dirigeants de SAS permet une grande souplesse dans la rédaction des statuts, il conviendra toutefois d’être attentif à leur rédaction, puisqu’une incertitude juridique pourra émerger si les statuts sont également silencieux, ou insuffisamment précis, sur ce point. Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Versailles a déjà considéré que le dirigeant d’une SAS ne pouvait être révoqué judiciairement en l’absence de disposition statutaire en ce sens. [8]
En toute hypothèse, la révocation ad nutum du dirigeant de SAS n’empêche pas de prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter qu’elle soit considérée comme brutale ou vexatoire.
En effet, la révocation d’un dirigeant, même lorsqu’elle n’a pas à être motivée, pourra être considérée comme fautive si le principe de la contradiction n’a pas été respecté ou si la révocation est intervenue dans des circonstances susceptibles de nuire à l’honorabilité ou à la réputation du dirigeant, sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation, [9] ce qui peut être le cas, par exemple, lorsque la révocation a été accompagnée de mesures de publicité malveillantes ou a eu lieu de manière précipitée et non justifiée par l’urgence.
Roland RINALDO, avocat associé ARTLEX, droit commercial et droit économique
Simon BIENVENU, avocat collaborateur ARTLEX, droit commercial et droit économique
#dirigeant #sociétéparactionssimplifiée #révocation #justemotif #libertéstatutaire #articleL227-5duCodedecommerce #courdecassation #Artlexvousinforme
Cass. com., 9 mars 2022, pourvoi n°19-25.795
[1] Cass. com., 8 avril 2014, pourvoi n°13-11.650 [2] Cass. com., 15 novembre 2011, pourvoi n°10-20.544 [3] Cass. com., 24 mai 2017, pourvoi n°15-21.633 ; Cass. com., 14 novembre 2018, pourvoi n°17-11.103 [4] Article L.225-18 du Code de commerce [5] Article L.225-75 du Code de commerce [6] Article L.225-47 du Code de commerce [7] CA Paris, 26 mai 2016, RG n°14/20147 [8] CA Versailles, 17 septembre 2013, RG n°11/08705 [9] Cass. com., 14 mai 2013, pourvoi n°11-22.845
Comments