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Responsabilité d'Amazon : contrefaçon et violation d'un réseau de distribution sélective



La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour de cassation ont rendu récemment deux arrêts intéressants sur la responsabilité d’Amazon dans la distribution non autorisée de produits de marque


Ces deux arrêts reviennent sur les contours de la responsabilité de l’exploitant d’une place de marché et sur son rôle actif ou passif qui le qualifiera d’éditeur ou de simple hébergeur


· Le premier arrêt (CJUE, 22 déc. 2022, C-148/21, Louboutin c./Amazon) concerne la vente de produits contrefaisants par une plateforme de vente en ligne « hybride », telle qu’Amazon, qui intègre les offres de vente des produits qu’elle distribue en son nom et pour son compte et les offres de vendeurs tiers.


La Cour juge que la responsabilité de la plateforme dans la vente de produits contrefaisants pourrait être retenue lorsqu’un mode de présentation uniforme des offres publiées sur Amazon (qu’elles émanent d’Amazon ou de vendeurs tiers) est susceptible de créer un lien, aux yeux des utilisateurs, entre la marque contrefaite et Amazon.

Il en est ainsi en particulier lorsque la plateforme de vente en ligne associe aux différentes offres, provenant de l’exploitant de la plateforme ou d’un vendeur tiers sans distinction en fonction de leur origine, son logo et des mentions du type « les meilleures ventes », « les plus demandés » ou « les plus offerts », aux fins notamment de promouvoir certaines de ces offres : une telle présentation est susceptible de renforcer auprès du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif l’impression que les produits ainsi promus sont commercialisés par l’exploitant de la plateforme, Amazon, en son nom et pour son propre compte. Est susceptible de renforcer cette confusion le fait que la plateforme assume divers services pour les consommateurs utilisateurs de la plateforme comme le traitement des questions, le stockage, l’expédition et la gestion des retours de l’ensemble des produits offerts par la plateforme ou par des vendeurs tiers.


· Le second arrêt (Cass. com., 11 janv. 2023, n° 21-21.846, BPI Shiseido c./Amazon) concerne la vente par l’exploitant d’une plateforme de vente en ligne et par les vendeurs tiers utilisateurs de la place de marché de produits protégés par un réseau de distribution sélective.


Appelée à statuer sur le trouble illicite causé par la vente de produits par des distributeurs non agréés du réseau de distribution sélective du fournisseur (Shiseido), depuis la version française et plusieurs versions étrangères de la plateforme Amazon (amazon.co.uk, amazon.de, amazon.it et amazon.es) à partir desquelles des livraisons étaient effectuées en France, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel de Paris de n’avoir pas retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite.


Sur les ventes illicites opérées depuis les versions française et étrangères de la plateforme, la Cour constate qu’à la date où le juge de première instance et la cour d’appel ont statué les ventes illicites avaient disparu, ce qui écartait l’existence du trouble manifestement illicite.

Sur les ventes illicites opérées depuis les versions étrangères de la plateforme, la Cour de cassation constate en outre que le fournisseur n’ayant versé aux débats aucun contrat de distribution sélective signé entre lui et un ou plusieurs distributeurs dans l’un ou l’autre des pays vers lesquels les sites amazon.co.uk, amazon.de, amazon.it et amazon.es dirigeaient leurs activités, il n’a pas justifié de l’illicéité de l’approvisionnement des vendeurs hors réseau étrangers offrant des produits protégés par le réseau de distribution sélective, dont l’existence n’était démontrée qu’en France. En l’absence de justification de l’illicéité de l’approvisionnement de ces vendeurs étrangers hors réseau, le caractère manifestement illicite des ventes réalisées à partir des versions étrangères de la plateforme d’Amazon n’était pas établi avec l’évidence requise en référé, ce qui écartait également l’existence d’un trouble manifestement illicite.


La Cour de cassation sanctionne toutefois l’arrêt de la Cour d’appel de Paris pour n’avoir pas recherché si Amazon, ayant admis avoir procédé à des ventes directes de produits protégés par le réseau de distribution avant de retirer ces offres, n’avait pas commis des actes engageant sa responsabilité de nature à justifier l’octroi d’une provision à valoir sur des dommages et intérêts au bénéfice du fournisseur tête de réseau (Shiseido).

  • Cette affaire soumise à la Cour de cassation est l’occasion de rappeler les règles de preuve qui s’appliquent à la responsabilité des tiers aux réseaux de distribution sélective du fait des ventes hors réseau :

- Il appartient au fournisseur de prouver qu’il a mis en place un réseau de distribution sélective et le champ territorial de ce réseau (France et/ou autres pays en Europe) et que le tiers hors réseau qui vend des produits hors réseau avait connaissance de l’existence du réseau ; le fournisseur doit ensuite prouver la licéité de son réseau au regard du droit de la concurrence (par ex. Cass. com., 19 oct. 2022, n° 21-18.301, France télévisions c./Malvale et Coty).


- De son côté, le tiers au réseau peut se défendre de toute responsabilité du fait de ses ventes hors réseau en prouvant la licéité de son approvisionnement, c’est-à dire en prouvant que son approvisionnement a été réalisé auprès d’un distributeur autorisé non membre du réseau de distribution sélective (par exemple auprès d’un distributeur situé sur un territoire dans lequel le fournisseur n’a pas mis en place un réseau de distribution sélective). Un fournisseur ne peut s’opposer aux importations, sur un territoire protégé par la distribution sélective, de produits acquis sur des territoires de l’EEE où aucun réseau de distribution sélective n’est en place*. S’il appartient aux vendeurs tiers au réseau de démontrer la licéité de leur approvisionnement, le fournisseur doit produire en référé des éléments de nature à laisser suspecter l’illicéité de l’approvisionnement, notamment par le fait que ces vendeurs sont établis sur un territoire où un réseau de distribution sélective est en vigueur.


* A noter que depuis l’entrée en vigueur du règlement 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022, un fournisseur à la tête d’un réseau de distribution sélective peut interdire les ventes actives et passives de ses distributeurs et de leurs clients à des distributeurs non agréés situés sur un territoire dans lequel le fournisseur opère un système de distribution sélective.


  • Cette affaire soulève également la question de la responsabilité de l’exploitant de la plateforme pour les ventes effectuées en son nom et pour son compte et pour celles effectuées par les vendeurs tiers :

- il encourt une responsabilité pour les ventes hors réseau de produits protégés par un réseau dans un territoire effectuées par lui-même s’il ne peut prouver la licéité de son approvisionnement.


- pour les ventes effectuées par des tiers sur la place de marché, selon la qualité de simple hébergeur ou d’éditeur de contenus de l’exploitant de la place de marché (que l’on définit en fonction de son rôle plus ou moins actif dans la diffusion des contenus), la responsabilité de l’exploitant de la place de marché sera engagée si, après avoir eu connaissance de l’existence d’un réseau de distribution sélective, il ne s’assure pas systématiquement ou après notification du fournisseur, auprès des vendeurs tiers de la licéité de leur approvisionnement et ne supprime pas les offres illicites de ceux qui ne pourraient en justifier. Selon une jurisprudence établie, une telle responsabilité sera automatiquement exclue si ces vendeurs tiers sont de simples particuliers et non pas des professionnels (par ex. Cass. com., 11 janv. 2023, n° 21-21.847, BPI Shiseido c./E-Bay).


Virginie BERNARD, avocat associé ARTLEX, droit économique, droit commercial et droit aérien.


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