Par un arrêt du 5 décembre 2023, la Cour d’appel de Rennes caractérise notamment l’originalité de photographies prises lors de la célèbre course des 24 heures du Mans en considérant que celles-ci traduisent la personnalité de leurs auteurs et plus particulièrement un parti pris restituant, non pas les pilotes et automobiles, mais la vie autour du circuit ainsi que l’atmosphère qui y règne. La Cour d’appel rappel, en outre, utilement les règles propres à la prescription en matière de droit d’auteur, ainsi que le formalisme strict devant nécessairement être observé lors d’une cession de droits d’auteur.
En l’espèce, Monsieur CW a créé dans les années 1920 un studio de photographies et de vente de matériel photographique notamment spécialisé dans la couverture de la course des 24 heures du Mans. Madame PW, fille de Monsieur CW, et son mari Monsieur O YB ont exploité le studio de Monsieur CW et sont décédés respectivement en 1990 et 1996.
En 1987, l’immeuble dans lequel le studio était exploité a été cédé à Madame J et le fonds de commerce a été cédé à la société SNPP représentée par Madame J. Suite à ces cessions, les négatifs de nombreuses photographies et des plaques de verre sont restés stockés dans les réserves de l’ancien studio, devenu le domicile de Madame J. Faisant suite à la liquidation de la société SNPP, Madame J a créé la société LAUNIC.
En mars 2016, Monsieur X YB, fils de Monsieur O YB et de Madame PW, elle-même fille de Monsieur CW, soutenait avoir découvert que la société LAUNIC reproduisait sans son autorisation près de 200 photographies dans l’ouvrage « Eternel’Le Mans », imprimé en juin 20213 à l’occasion du 90ème anniversaire de la course, issues des négatifs et des plaques de verre restés dans la réserves du studio et dont il était investi de droits d’auteur en sa qualité d’ayant droit de ses parents, eux-mêmes ayants droit de Monsieur CW.
Monsieur X YB a, après y avoir été autorisé, fait procédé à la saisie au siège social de la société LAUNIC, et aussi domicile de Madame J, de 16 classeurs comprenant des milliers de négatifs et des plaques de verre des années 1949 et 1982. Monsieur X YB a ensuite assigné Madame J et la société LAUNIC en contrefaçon de droits d’auteur.
Par un arrêt du 6 avril 2022, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi de Monsieur X YB, a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui rejetait l’ensemble des demandes de Monsieur X YB considérant d’une part son action prescrite, et d’autre part qu’il ne justifiait ni de sa qualité à agir en tant qu’ayant droits des auteurs des œuvres, ni de l’originalité des photographies litigieuses.
Les parties ont été renvoyées devant la Cour d’appel de Rennes qui a statué par l’arrêt commenté du 5 décembre 2023 s’agissant notamment de la prescription de l’action, de la qualité à agir de Monsieur X YB et de l’originalité des photographies.
- S’agissant de la prescription de l’action en contrefaçon de Monsieur X YB, la Cour d’appel de Rennes rappelle d’une part que l’action en contrefaçon de droits d’auteur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, et d’autre part que la contrefaçon constitue un délit continu dont chaque usage qualifié d’illicite constitue un acte distinct faisant courir le délai de prescription.
Ainsi, bien que Monsieur X YB avait depuis 2002 connaissance de l’existence des négatifs présents dans l’ancien studio de ses ayants-droits et de leur utilisation par la société LAUNIC, son action introduite en 2016 portant sur la contrefaçon de photographies publiées en 2013 dans l’ouvrage « Eternel’le Mans » n’était pas prescrite.
- S’agissant de la qualité à agir de Monsieur X YB, la Cour d’appel considère que celui-ci justifie suffisamment de la qualité d’héritier de Monsieur O YB et de Madame PW, et ainsi de Monsieur CW, le rendant titulaire de droits d’auteur sur les photographies litigieuses ce qui emporte la titularité du droit de divulgation des œuvres posthumes.
En outre, en réponse aux arguments des défenderesses qui soutenaient que les droits sur les photographies litigieuses auraient été cédés lors de la cession du fonds de commerce, la Cour d’appel rappelle le formalisme strict du Code de la propriété intellectuelle s’agissant de la cession de droits d’auteur qui ne peut être ni implicite, ni présumée et qui ne peut découler de la vente du support matériel de l’œuvre.
- S’agissant de l’originalité des photographies litigieuses, le Cour d’appel rappelle tout d’abord utilement que celle-ci n’a pas à être caractérisée au stade de la requête en saisie-contrefaçon.
- S’agissant des demandes au fond, Monsieur X YB considérait que la reproduction de ces photographies originales dans l’ouvrage « Eternel’le Mans » sans son autorisation, ni mention du nom de leurs auteurs, ou en les recadrant, constituait des actes de contrefaçon portant atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux en sa qualité d’ayants-droits des auteurs.
La Cour d’appel rappelle que l’originalité d’une œuvre peut notamment « s'évincer du choix de la pose du sujet, de l'angle de prise de vue et de l'éclairage, de la position, de l'expression et des couleurs ou la singularité de la mise en scène créée par le choix du lieu et des accessoires, par l'usage d'une technique particulière de tirage, [qui] librement opérés » traduisant l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
La Cour d’appel considère ensuite que les photographies sont originales dans la mesure où elles « procèdent d'un parti pris qui était celui de restituer, non pas les pilotes, les automobiles et leurs performances ainsi que cela est généralement fait pour tout sport automobile, mais la vie autour du circuit et l'atmosphère particulière qui y régnait ». La Cour considère donc qu’elles doivent bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur.
Alixia TRAINEAU, avocate collaboratrice
Carole COUSON-WARLOP, avocate associée, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle
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