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Garantie d’éviction du cédant de droit sociaux et proportionnalité aux intérêts légitimes à protéger




Par un arrêt important du 10 novembre 2021 (pourvoi n°21-11.975), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que, si la liberté du commerce et la liberté d'entreprendre peuvent être restreintes par l'effet de la garantie d'éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l'acquéreur, c'est à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.


En l’espèce, les deux fondateurs d’une société spécialisée dans l’édition et l’intégration de solutions « open source » ont cédé en mai 2007 leurs actions à une société intervenant sur le marché des prestations de service informatique. Ils sont à cette occasion devenus actionnaires de la société cessionnaire et ont été embauchés dans le même temps par la société cédée.


En avril et mai 2010, ils démissionnent de leurs fonctions, puis cèdent leurs actions en mai 2011. Dès octobre 2010, l’un des cédants créé cependant une nouvelle société exerçant une activité concurrente de celle de la société dont il avait cédé les actions et en capte une partie des salariés et de la clientèle. Le second cédant le rejoint dans cette aventure en octobre 2010.


Invoquant notamment la garantie légale d’éviction due par les associés à l’occasion de la cession de la société qu’ils ont créée, l’acquéreur les assigne en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice.


Par un arrêt du 1er décembre 2020, la Cour d’appel de Paris lui donne raison et retient que les cédants ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction, dès lors que :


- les cédants se sont rétablis, par l'intermédiaire de la société créée par l'un d'eux, dans le même secteur d'activité que la société cédée, pour proposer au marché un produit concurrent ;

- ils se sont réapproprié une partie du code source du logiciel qu'ils avaient créé et cédé ;

- ils ont débauché en 2012 le personnel qui avait été essentiel à l'activité de la société cédée et les clients se sont détournés de cette dernière après le départ des cédants pour contracter avec leur nouvelle société à la suite d'une procédure d'appel d'offres à laquelle celle-ci avait répondu ;

- leurs agissements ont abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société cédée, empêchant cette dernière de poursuivre pleinement son activité.


La Cour de cassation casse cet arrêt, au motif que la Cour d’appel aurait dû rechercher concrètement si, au regard de l'activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l'interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés.


La garantie légale d’éviction, prévue aux articles 1626 et suivis du Code civil, interdit en effet au vendeur tout comportement gênant l’acquéreur et diminuant la valeur du bien cédé.


En matière de droits sociaux, la mise en œuvre de la garantie d’éviction suppose plus précisément l’existence d’actes de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprises du bien vendu, ou une atteinte aux activités de la société cédée telle qu’elle empêche l’acquéreur de poursuivre l’activité économique de la société et réaliser l’objet social. De ce fait, la garantie d’éviction revient à instituer une véritable obligation légale de non-concurrence à la charge du cédant de droits sociaux, laquelle ne prend d’ailleurs pas nécessairement fin à l’expiration de l’éventuelle clause de non-concurrence convenue entre cédant et acquéreur.


Cependant, comme pour les clauses de non-concurrence contractuelles, cette obligation légale n’est pas illimitée dans le temps, ce que vient affirmer la Cour de cassation, pour la première fois, dans cet arrêt du 10 novembre 2021. L'interdiction pour le vendeur de se rétablir doit ainsi s’apprécier au regard des principes de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprendre, l’atteinte portée à ces principes par la garantie légale d’éviction devant être proportionnée au regard de la nécessaire protection de ces intérêts légitimes.


Cette limitation dans le temps doit s’apprécier au cas par cas, et de manière concrète au regard des circonstances en cause, la difficulté tenant au fait que bien souvent la société cédée poursuit son activité économique et réalise son objet social pendant plusieurs années avant que les cédants n’entament une activité concurrente.


Il convient de noter que, dans la présente affaire, la Cour d’appel de Paris a prononcé, à titre de sanction, l’interdiction aux cédants d’exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée au jour de la cession des titres, en mai 2007. Il est effectivement légitime de s’interroger sur la proportionnalité d’une telle interdiction de se rétablir dans ce cas, près de 13 ans après la cession litigieuse.


Relevons en dernier lieu que les fondateurs avaient signé des clauses de non-concurrence à l’occasion de la cession de leurs titres, lesquelles ont été considérées comme nulles par la Cour d’appel au vu de leur caractère disproportionné.


La présente affaire vient donc également rappeler qu’il est essentiel de s’assurer que les modalités de l’activité future du cédant lors d’une cession de droits sociaux sont bien encadrées.


Simon BIENVENU, avocat collaborateur ARTLEX, droit commercial et droit économique.


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Cass. com., 10 novembre 2021, n°21-11.975

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