
Par un arrêt récent du 7 décembre 2022 (pourvoi n°21-19.860), la chambre commerciale de la Cour de cassation retient que le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l'ancien salarié d'un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l'activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l'exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.
En l’espèce, la société Foncia, qui exerce une activité d'administration d'immeubles, a assigné en concurrence déloyale une société concurrente créée par deux de ses anciens salariés, la société Valhestia, dont l’un des anciens salariés est devenu le dirigeant.
Foncia mettait notamment en avant que ses anciens salariés ont constitué une société concurrente, acheté un local pour l'héberger et débuté le démarchage de sa clientèle, notamment en adressant une offre commerciale à un client, avant même d’avoir quitté leur poste.
Foncia dénonçait également le détournement de sa clientèle au travers d'un démarchage systématique lui ayant fait perdre 22 mandats de gestion de copropriété, la proposition de tarifs plus bas que les siens, cela immédiatement après la fin du contrat de travail des salariés en cause, ces faits ayant été facilités par le détournement de documents lui appartenant.
La Cour d’appel de Paris déboute Foncia de ses demandes, au motif notamment que les anciens salariés n’étaient liés par aucune clause de non-concurrence et que la désignation de Valhestia par des copropriétés alors clientes de Foncia n'a été mise au vote que lors d'assemblées générales postérieures au départ des anciens salariés, outre que les premiers encaissements sont également postérieurs à leur départ, ce qui confirmait un début d'activité effectif après la fin de leur contrat de travail.
La Cour d’appel de Paris retient encore que le transfert par les anciens salariés à Valhestia de listes de résidences gérées par Foncia et de listes des adresses de messagerie électronique des conseils syndicaux de résidences également gérées par Foncia, obtenues alors qu'ils en étaient salariés, n'est pas fautif en l'absence de preuve de l'exploitation de ces informations par un moyen fautif de leur part.
Cette motivation est cassée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 décembre 2022. [1]
La Cour de cassation rappelle en premier lieu que « constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d'une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant ceux-ci ». Dès lors, la Cour d’appel aurait dû rechercher si l'envoi par Valhestia d'une proposition de contrat de syndic à un membre d'une copropriété cliente de Foncia ne constituait pas un acte d'exploitation commis antérieurement au terme du contrat de travail liant un des anciens salariés et la société Foncia, constitutif d'une faute.
La Cour de cassation retient en second lieu que « le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l'ancien salarié d'un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l'activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l'exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale ». Il était donc indifférent que Foncia ne démontre pas que ces informations confidentielles ont bien été exploitées par ses anciens salariés.
En effet, si la jurisprudence considère que rien n’interdit au salarié de préparer une future activité concurrente de celle de son employeur (en l’absence de clause de non-concurrence), c’est à la condition que cette concurrence ne devienne effective qu'après la rupture du contrat de travail. Le salarié peut ainsi participer à la création d'une société concurrente de l'entreprise de son employeur si cette société n'a eu aucun commencement d'activité au jour de la cessation du contrat de travail. [2]
Or, en l’espèce, en démarchant les clients de Foncia avant même la fin de son contrat de travail, le salarié indélicat avait réalisé un acte d’exploitation constitutif d’un début d’activité avant son départ.
S’agissant de la détention d’informations confidentielles, le présent arrêt de la Cour de cassation semble aller plus loin que sa jurisprudence antérieure en retenant que la seule détention de ces informations est fautive, là où elle sanctionnait auparavant l'appropriation d'informations confidentielles apportées par l’ancien salarié d’une société concurrente.[3]
La Cour de cassation précise néanmoins dans l’arrêt commenté que constitue un acte de concurrence déloyale la détention d’informations confidentielles par « une société à la création de laquelle a participé l'ancien salarié d'un concurrent ». En effet, on peut légitimement penser que le salarié qui se serait transféré des informations confidentielles avant la création d’une société concurrente le fait avec le dessein de les exploiter.
Il convient enfin de noter qu’en l’espèce Foncia n’avait engagé d’action que contre la société concurrente. Elle aurait cependant été fondée à rechercher la responsabilité de son ancien salarié devenu également dirigeant de la société Valhestia. En effet, ainsi qu’il a été exposé dans une brève précédente (https://lnkd.in/e-gqDK95), la Cour de cassation a considéré dans une décision récente que le dirigeant à l’origine du détournement d’informations confidentielles de son ancien employeur au profit de la société créée après son départ commet une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales, et engage ainsi sa responsabilité personnelle de ce fait. [4]
Roland RINALDO, avocat associé ARTLEX, droit commercial et droit économique
Simon BIENVENU, avocat collaborateur ARTLEX, droit commercial et droit économique
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Cass. com., 7 décembre 2022, pourvoi n°21-19.860
[1] Cass. com., 7 décembre 2022, pourvoi n°21-19.860 [2] Cass. com., 13 mars 2001, pourvoi n°99-11.178 ; Cass. soc., 5 mai 2009, pourvoi n°07-45.331 [3] Cass. com., 1er juin 2022, pourvoi n°21-11.921 ; Cass. com., 7 septembre 2022, pourvoi n°21-13.505 [4] Cass. com., 7 septembre 2022, pourvoi n°20-20.404
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