Par un arrêt du 8 avril 2021 (pourvoi n°19-23-669), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu’engage sa responsabilité pour insuffisance d’actif et en comblement de passif, le dirigeant qui a provoqué une distribution de dividendes, alors même que la situation de trésorerie de la société ne le permettait pas.
En l’espèce, le gérant d’une SARL placée en redressement judiciaire en janvier 2012 puis liquidée dès le mois de mars 2012 s’est vu reproché par le liquidateur d’avoir procédé à deux distributions de dividendes en mai 2009 et en juin 2010 ayant eu pour effet de priver la société de ses réserves et pour but de favoriser une société dans laquelle il était lui-même personnellement intéressé pour en être le dirigeant.
Par un arrêt du 10 septembre 2019, la Cour d’appel de Montpellier faisant droit à l’argumentation du liquidateur judiciaire a retenu que ces distributions constituaient des fautes de gestion de la part du gérant de la SARL et l’a condamné à combler l’intégralité du passif de la société en liquidation.
Le gérant de la SARL a alors contesté cette décision et fait valoir devant la Chambre commerciale de la Cour de Cassation qu’il ne pouvait pas être tenu personnellement responsable de ces distributions décidées par l’associé unique de la SARL conformément aux dispositions de l’article L.232-12 du Code de commerce dès lors qu’en tant que gérant, il n’avait pas pris part au vote. Il est exact que dans ce cadre, le gérant met la distribution de dividendes à l’ordre du jour mais qu’il ne décide pas de cette distribution qui est du seul ressort des associés.
La Chambre commerciale a rejeté l’argumentation du gérant en retenant que si les décisions fautives de distribution ont été prises en assemblée générale, c’est bien le gérant qui en a pris l’initiative en les portant à l’ordre du jour de l’assemblée générale d’approbation des comptes annuels.
Or, la Cour de cassation relève que le vote de ces distributions :
- est intervenu dans un contexte de baisse du chiffre d'affaires et du bénéfice au titre de l’exercice 2009 puis de pertes au titre de l’exercice 2010,
- a eu pour effet de priver la SARL de la majeure partie de ses réserves,
- a empêché d'inscrire les provisions qu'appelaient l'existence de créances douteuses,
- et a contribué à l’insuffisance du passif par défaut de paiement de la dette non provisionnée issue du litige et des honoraires impayés des conseils de la SARL ;
C’est donc bien le caractère inopportun de la proposition de distribution au regard de la situation de trésorerie de la SARL qui est reproché au gérant.
Tenant compte des critères classiques de la responsabilité civile, la sévérité de cette solution surprend néanmoins dès lors que le gérant condamné en comblement de passif n’a fait qu’user des prérogatives qu’il tient des articles L.223-26 et L.223-27 du Code de commerce en soumettant aux associés le projet de distribution des dividendes et que la Cour de cassation ne n’a pas caractérisé un abus de droit du gérant ni une volonté de nuire à la SARL. De plus, la déclaration de passif étant intervenue plusieurs années après le vote des distributions de dividendes jugées fautives, le lien de causalité entre la faute reprochée au gérant et le préjudice subi par la SARL paraît incertain.
Quoi qu’il en soit, il convient désormais de pouvoir justifier l’opportunité d’une distribution de dividendes au moment d’inscrire cette résolution à l’ordre du jour de l’assemblée générale annuelle. A défaut, une telle mesure a priori anodine pourra, en cas de procédures collectives, être reprochée par les organes de la procédure collective comme révélant une faute de gestion.
Roland RINALDO, avocat associé ARTLEX, droit commercial et droit économique
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